Domestication
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L'Homme et la nature: histoire d'un aveuglement
Histoire des parcs nationaux
Histoire du nucléaire
Des Loups et des Hommes
L'évolution en action: domestication (en parallèle à cette page, une approche de la domestication, envisagée du point de vue de l'évolution et de la génétique).
L'Homme et la nature: histoire d'un aveuglement
Histoire des parcs nationaux
Histoire du nucléaire
Des Loups et des Hommes
L'évolution en action: domestication (en parallèle à cette page, une approche de la domestication, envisagée du point de vue de l'évolution et de la génétique).
Page en cours d'écriture (merci de votre compréhension).
La domestication est un événement majeur dans l'histoire humaine, mais de même que nos idées sur l'évolution biologique, son histoire subit le poids des représentations et des idées fausses. Il s'agit en fait d'une suite d'interactions dont l'analyse et la compréhension sont essentielles pour tout projet d'écologie politique (la domestication peut aussi être analysée du point de vue de la génétique et de l'évolution, lire ce chapitre de la page L'évolution en action, déjà citée plus haut.
Même en se cantonnant à Homo sapiens, le mode de vie de chasseur-cueilleur a perduré pendant 300 000 ans. En moins de 3 000 ans d'agriculture (donc de domestication), nous avons réussi à "manger" la Terre.
Ce livre passé plutôt inaperçu lors de sa sortie (surtout aux Etats-Unis: Marshall Sahlins est plus connu en France que dans son pays) est visionnaire, alors que nous nous interrogeons de plus en plus sur un modèle économique qui conduit à notre perte; nous nous interrogeons sur ce que nous nommons (à tord) croissance; nous nous interrogeons sur la compatibilité entre inégalités sociales et respect des écosystèmes. L'approche de la crise actuelle par l'étude de la domestication à le mérite d'être concrète. Elle aboutit à une réponse radicale aux questions que nous nous sommes posés il y a 10 000 ans et que l'histoire a éludé...
Mis à part l'emploi des mots "primitifs" ou "civilisation", qui sont un peu datés (et, ailleurs dans l'ouvrage, l'insistance sur une division sexuée du travail), le texte aurait pu être écrit par une écologiste du 21e siècle. Il présente des idées parallèles à celle qu'un précurseur comme André Gorz exprime sur un terrain beaucoup plus politique (Gorz, 1974)
Une dizaine d'années après Sahlins, dans une conférence universitaire, Jared Diamond qualifie la transition agricole comme la pire erreur de l'histoire de l'humanité (Diamond, 1987): «Hunter-gatherers practiced the most successful and longest-lasting life style in human history. In contrast, we're still struggling with the mess into which agriculture has tumbled us (Les chasseurs-cueilleurs pratiquaient le style de vie le plus réussi et le plus durable de l'histoire de l'humanité. En revanche, nous nous battons pour survivre au désordre dans lequel l'agriculture nous a plongés)». Diamond va revenir plus tard sur le sujet dans un ouvrage comparant les "réussites" des différents continents (Jared Diamond, 1997).
En 2015, Yuval Noah Harari copie Diamond (qui avait lui même copié Sahlins) dans un bestseller prétendant écrire le grand récit de notre espèce (Yuval Noah Harari, 2015) . Il n'hésite pas à qualifier l'idée de révolution agricole comme «la plus grande escroquerie de l'histoire: les plantes ont domestiqué l'Homme» et non l'inverse (Harari, 2015: p.104).
Mais les deux auteurs passent leur temps à se contredire. Diamond est obsédé par une vision universaliste de l'histoire, cherchant les causes de ce qu'il faut appeler la domination des peuples européens sur le monde (jusqu'au début du 20e siècle). Et la critique de Noah Harari tourne court quand il se félicite de l'invention de la monnaie ! Tous deux concluent que toute société humaine est amenée à se "complexifier", c’est-à-dire quitter le mode de vie libre des chasseurs-cueilleurs pour développer un entrelacs de domination, corollaire de l’abondance matérielle. L'honneur de la société de consommation est sauf et c'est sans doute cette pirouette qui permet le succès de leurs ouvrages.
C’est à ce mythe défendu par Diamond et Harari (de la recherche universelle d'un accroissement de la productivité) que s'attaque Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, l’ouvrage de l’anthropologue David Graeber et de l’archéologue David Wengrow (Graeber et Wengrow, 2021).
Pour les auteurs, les opinions populaires actuelles sur les progrès de la civilisation occidentale, telles que présentées par Francis Fukuyama, Jared Diamond, Steven Pinker et Yuval Noah Harari, ne sont pas étayées par des preuves anthropologiques ou archéologiques, mais doivent davantage à des dogmes philosophiques hérités sans réfléchir du siècle des Lumières.
Les auteurs réfutent les visions hobbesienne et rousseauienne sur l'origine du contrat social, affirmant qu'il n'existe pas de forme originale unique de société humaine. De plus, ils soutiennent que la transition de la cueillette à l'agriculture n'était pas un piège de la civilisation qui a jeté les bases de l'inégalité sociale, et qu'au cours de l'histoire, les sociétés à grande échelle se sont souvent développées en l'absence d'élites dirigeantes et systèmes de gestion descendants.
Pour le second courant, Rousseauiste, l’état de nature n’est pas mauvais, mais bon. Mais l'œuvre la plus ancienne, n'est pas de Jean-Jacques Rousseau, c'est le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie, publié à titre posthume en 1574 qui en donne la formulation la plus radicale: le tyran n’est qu’un parasite et un manipulateur, dont le pouvoir repose sur l’aveuglement et la docilité des dominés «soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres». En 1672, Samuel von Pufendorf publie Du droit de la nature et des gens qui va inspirer Rousseau et la constitution américaine. Jean-Jacques Rousseau va développer la thèse dans le Discours sur l’origine de l’inégalité (1755) puis dans Du contrat social (1762). Le livre est interdit en France et brûlé à Genève.
Rousseau va à son tour inspirer les acteurs de la Révolution française, puis les grands romans évolutionnistes des origines que sont Ancient Society (1877) de Lewis Morgan et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’état (1884) de Friedrich Engels. Ces deux derniers ouvrages, qui décrivent l’apparition et le développement historique des inégalités sociales, intègrent déjà les données anthropologiques de l’époque, à défaut des connaissances archéologiques, encore sommaires et peu diffusées. Plus moderne que Marx, Engels aborde aussi la question de la domination des hommes sur les femmes: le mariage monogamique, association économique, n’a rien à voir avec l’amour. Allant de pair avec l’institution de la propriété privée masculine, il représente une «défaite historique du sexe féminin», apparaissant comme »l'assujettissement d’un sexe par l’autre». Seule la sexualité féminine, réduite à un symptomatique abandon, date un peu cette analyse. (Demoule, 2010, pp. 411-426).
Dans son ouvrage majeur, Par delà nature et culture (Descola, 2005) explique que tout un pan de l’humanité vit en interaction avec la nature, sans jamais la dissocier d’une supposée "culture" (une notion occidentale). En combinant intériorité (morale) et physicalité (matière) pour distinguer humains et non humains, Descola définit quatre grands types d’ontologies (pp. 416-417) qu'il nomme, avec des significations redéfinies, totémisme (continuité des intériorités et des physicalités: tous les existants possèdent une âme ou un esprit et une intention, relativisme des identités: hybridation), animisme (continuité des intériorités et différence des physicalités: métamorphose), analogisme (les différences sont structurées par des relations de correspondance, chaine des êtres, universalisme) et naturalisme (continuité des physicalités et différence des intériorités permise par la culture).
Le naturalisme représente le mythe dominant dans notre monde judéo-chrétien sans pouvoir cependant représenter une pensée unique: il n'est pas étonnant que la lecture de Spinoza, pour qui l'âme et le corps ne sont qu'une seule et même chose vue sous deux angles différents et qui définit la Nature comme la cause et l'essence de tout ce qui existe (elle se confond avec Dieu) ait été interdite jusqu'au 19e siècle.
Pour Descola, le dualisme entre nature et culture est un masque pour une pratique qui le contredit; il n'élimine pas pour autant sa fonction directrice dans l’organisation des sciences ni n'efface le fait que l’ethnologue tire une inspiration constante d’une opposition dont la plupart des peuples qu'il décrit et interprète ont fait l’économie.
Pour Michel Foucault, le naturalisme équivaut à un double dualisme: entre les choses et les mots, mais aussi entre la nature (le réel) et la culture (la capacité à catégoriser).
La combinaison de la vie sédentaire et de l’agriculture est apparue pour la première fois au Moyen-Orient, il y a environ douze mille ans.
Pour Jean-Pierre Bocquet-Appel (Bocquet-Appel, 2003), le remplacement d'une alimentation pauvre en calories chez les chasseurs cueilleurs par une alimentation plus riche, couplé à une diminution de la dépense énergétique liée à la sédentatrité, augmente la fécondité en rapprochant les naissances. Elle est suivie (mais avec décalage) d'une augmentation de la mortalité infantile en particulier liée à une transmission plus facile des infections lorsque la densité de la population augmente, lorsque la contamination de l'eau augmente et parce que l'allaitement est plus court. Au final on passe d'un premier état stable à un deuxième état stable, mais entre les deux, population, taux de natalité et taux de mortalité ont considérablement augmenté. Cette transition démographique est simultanée au changement du modèle économique. Cette transition démographique rend difficile sinon impossible tout retour en arrière.
Abandonner l'agriculture suppose de réduire drastiquement la population; un sujet qui reste tabou, même dans nos cultures actuelles qui disposent de moyens "non-violents" de contrôle des naissances. Il ne faut pas négliger non plus les changements induits dans la structure sociale par la sédentarité: dans quasiment tous les cas (Testard, 1982), la culture des céréales induit la sédentarité qui induit une hiérarchisation sociale. Il est facile de prévoir que ceux parvenus au sommet de cette hiérarchie accepteront difficilement l'abandon de leur privilèges nécessité par le retour au nomadisme.
Toutefois la question de l'inégalité reste très discutée. Les études de maisons néolithiques en Europe de -600 à -500, démontrent le contraire: ces sociétés sont plutôt égalitaires (Anick Coudart, 2010). On repère les inénagités à l'existence de quelques tombes très riches. En Europe l'urbanisation ne s'implante qu'au premier millénaire BC et même au Moyen-âge pour le nord; elle est généralement associée à l'impossibilité d'une migration: côte atlantique, steppe ukrainienne faisant blockage (Demoule, 2010).
Toutes les espèces ne sont pas domesticables; jusqu'à une époque récente le nombre des espèces domestiquées reste stable et relativement faible. Mais l'absence de domestication n'est pas seulement le fait de difficultés techniques, elle s'explique le plus souvent par un obstacle spirituel.
Pendant longtemps, les cueilleurs on sans doute cherché à favoriser le développement des plantes cueillies par rapport à d'autres sans vraiment les "cultiver". Nos forêts européennes ne ressemblent en rien à une forêt primaire (sauf rares exceptions) et pourtant, nous ne considérons pas que le Chêne soit une espèce domestiquée...
Dans une deuxième étape de la domestication, qui suppose la découverte du principe de sélection, au moins à un niveau élémentaire, il devient favorable d'isoler au moment de la reproduction les plantes cultivées de leurs parents sauvages. Mais la perte de l'efficacité reproductive des plantes cultivées peut tout aussi bien être un "dommage collatéral" des pratiques sélectives. Lorsque la partie consommée de la plante est le fruit ou la graine il est bien préférable pour le paysan que ses parties restent fixées sur la plante plutôt que de ses disperser... et dans ce cas la plante devient dépendante de l'Homme pour se reproduire.
Malgré les échanges pratiqués bien avant la transition agricole, les domestications apparaissent en de multiples endroits, concernent des espèces identiques ou différentes et se diffusent lentement, ce qui témoigne de la progressivité du phénomène. Blé, Orge, Lentilles sont domestiqués vers 11 000 BP au Proche-Orient, le Riz vers 8 000 BP en Chine et en Inde, le Maïs vers 9 000 BP en Amérique centrale, la Pomme de terre (vers 8 000 BP) le Manioc et le Poivre en Amérique du sud, le Mil, le Sorgho et l'Igname en Afrique subsaharienne, etc..
Le Mouton, la Chèvre et le Sanglier sont domestiqués dans le croissant fertile vers 10 000 BP (mais aussi en Chine). Le Buffle, le Poulet, l'Oie, le Zébu, le Banteng, le Gaur sont domestiqués en Asie; le Lama, le Cochon d'Inde, le Canard sont domestiqués en Amérique du sud (Chansigaud, 2020). On considère donc que cette domestication accompagne la transition agricole.
La domestication du Poulet tient autant de l'usage alimentaire que des usages culturels (sacrifices, combats de Coqs).
Enfin Valérie Chansigaud se demande si on peut qualifier de domestication l'interaction avec certaines espèces comme les Abeilles.
Dans les Lances du crépuscule, Philippe Descola (Descola, 1993, pp. 150-152) montre que de nombreuses sociétés (en particulier les Achuar) n’ont jamais domestiqué les animaux qui vivaient autour d’elles. Les Achuar recueillent les petits des animaux qu'il ont chassé au point que certaines maisons ressemblent à une arche de Noé. Mais cet apprivoisement ne conduit pas à une véritable domestication. L'obstacle n'est pas le savoir-fair, mais la conception du monde. Pécari, Tapir ou Agouti se prêtaient pourtant à un élevage en semi-captivité fournissant l'équivalent tropical d'un Cochon, d'une Vache ou d'un Lapin, mais l'élevage implique un rapport de sujétion réciproque, une convivialité bien fade par rapport à la chasse. Surtout, les animaux de la forêt sont déjà assujetties à des esprits qui les protègent (d'où des rituels savants accompagnent la chasse obtenir l'aval de ces esprits). Domestiquer les animaux les animaux de la forêt serait enter en conflit avec ces esprits qui ne pourraient supporter leur dépossession totale. C'est aussi pourquoi les Achuar entretiennent des meutes de chiens pour la chasse sans que cela pose le même problème.
Dans les communautés de chasseurs-cueilleurs animistes, plantes et les animaux vivent en tant qu’égaux spirituels des humains, si bien qu’il est tout simplement inconcevable de se mettre à exercer une domination sur eux. Si les sociétés qui se sont mises à pratiquer l’élevage il y a plusieurs milliers d’années étaient auparavant animistes, il a donc fallu qu’un changement profond de leur spiritualité s’opère.
La domestication peut conduire à la disparition des populations sauvages d'origine, par concurrence pour l'espace, souvent aggravée par la chasse (Aurochs), mais certaines espèces espèces résistent mieux que d'autres (Sanglier); et plus encore si elles ne sont pas chassées (Le Loup réinvestit les espaces dont il avait disparu lorsque des mesures de protection sont prises).
Il existe encore plusieurs sous espèces sauvages de Loup mais les populations ont été drastiquement réduites par l'Homme et ne pèsent pas lourd par rapport à la sous espèce domestique (Canis lupus familiaris, le Chien) 300 fois plus nombreuse que toutes les sous espèces sauvages confondues. Toutes sont interfertiles ce qui ne simplifie pas les recherches génétiques sur l'origine du Chien dans la mesure ou l'Homme a entrainé le Chien dans ses migrations et où des hybridations multiples ont pu se produire entre Loup et Chien. Pourtant la fascination de l'Homme pour le Loup n'a pas éludé le domaine scientifique et de multiples études ont été et sont toujours menées sur cet animal et sur ses relations avec l'Homme.
L'élevage des bovins n'est pas forcément initié par des agriculteurs, mais pouvait être pratiqué par des éleveurs nomades. Il semble que les bovins domestiqués parviennent en Europe avec les migrations de peuples ayant adopté l'agriculture sans négliger les hybridations de ces bovins avec les Aurochs présents sur place. Les animaux sont utilisés comme source de nourriture et pour la traction. La taille des bovins domestiques est inférieure de 25% à celle de l’Aurochs et les cornes sont plus petites.
La domestication est un événement majeur dans l'histoire humaine, mais de même que nos idées sur l'évolution biologique, son histoire subit le poids des représentations et des idées fausses. Il s'agit en fait d'une suite d'interactions dont l'analyse et la compréhension sont essentielles pour tout projet d'écologie politique (la domestication peut aussi être analysée du point de vue de la génétique et de l'évolution, lire ce chapitre de la page L'évolution en action, déjà citée plus haut.
Trolleys Hunters, par Banksy, 2006; «We can’t do anything to change the world until capitalism crumbles. In the meantime we should all go shopping to console ourselves» crédit Deodato Arte.
Changement de paradigme ?
L'idée, venant de la conception économique classique, que l'être humain tend à maximiser sa production et l'acquisition de biens est fausse.
En 1972, Marshall Sahlins publie Stone Age Economics (Sahlins, 1972), un ouvrage dans lequel il déconstruit toutes les représentations sur la supériorité de la civilisation (la société agricole) supérieure aux sociétés de chasseurs-cueilleurs: «plus une société est marquée par des progrès techniques, moins ses membres disposent de temps à accorder aux loisirs ou à la culture».Ce livre passé plutôt inaperçu lors de sa sortie (surtout aux Etats-Unis: Marshall Sahlins est plus connu en France que dans son pays) est visionnaire, alors que nous nous interrogeons de plus en plus sur un modèle économique qui conduit à notre perte; nous nous interrogeons sur ce que nous nommons (à tord) croissance; nous nous interrogeons sur la compatibilité entre inégalités sociales et respect des écosystèmes. L'approche de la crise actuelle par l'étude de la domestication à le mérite d'être concrète. Elle aboutit à une réponse radicale aux questions que nous nous sommes posés il y a 10 000 ans et que l'histoire a éludé...
«On peut satisfaire ses besoins en produisant beaucoup ou en désirant peu.» (Sahlins, 1972, 1976: p.44).
«les peuples les plus primitifs du monde ont peu de biens, mais ils ne sont pas pauvres. Car la pauvreté ne consiste pas en une faible quantité de biens, ni simplement en une relation entre moyens et fins; c'est avant tout une relation d'homme à homme, un statut social. En tant que tel, la pauvreté est une invention de la civilisation, qui a grandi avec elle, tout à la fois une distinction insidieuse entre classes, et plus grave une relation de dépendance [aux catastrophes naturelles].» (Sahlins, 1972, 1976: p.98).
«les peuples les plus primitifs du monde ont peu de biens, mais ils ne sont pas pauvres. Car la pauvreté ne consiste pas en une faible quantité de biens, ni simplement en une relation entre moyens et fins; c'est avant tout une relation d'homme à homme, un statut social. En tant que tel, la pauvreté est une invention de la civilisation, qui a grandi avec elle, tout à la fois une distinction insidieuse entre classes, et plus grave une relation de dépendance [aux catastrophes naturelles].» (Sahlins, 1972, 1976: p.98).
Mis à part l'emploi des mots "primitifs" ou "civilisation", qui sont un peu datés (et, ailleurs dans l'ouvrage, l'insistance sur une division sexuée du travail), le texte aurait pu être écrit par une écologiste du 21e siècle. Il présente des idées parallèles à celle qu'un précurseur comme André Gorz exprime sur un terrain beaucoup plus politique (Gorz, 1974)
Une dizaine d'années après Sahlins, dans une conférence universitaire, Jared Diamond qualifie la transition agricole comme la pire erreur de l'histoire de l'humanité (Diamond, 1987): «Hunter-gatherers practiced the most successful and longest-lasting life style in human history. In contrast, we're still struggling with the mess into which agriculture has tumbled us (Les chasseurs-cueilleurs pratiquaient le style de vie le plus réussi et le plus durable de l'histoire de l'humanité. En revanche, nous nous battons pour survivre au désordre dans lequel l'agriculture nous a plongés)». Diamond va revenir plus tard sur le sujet dans un ouvrage comparant les "réussites" des différents continents (Jared Diamond, 1997).
En 2015, Yuval Noah Harari copie Diamond (qui avait lui même copié Sahlins) dans un bestseller prétendant écrire le grand récit de notre espèce (Yuval Noah Harari, 2015) . Il n'hésite pas à qualifier l'idée de révolution agricole comme «la plus grande escroquerie de l'histoire: les plantes ont domestiqué l'Homme» et non l'inverse (Harari, 2015: p.104).
Mais les deux auteurs passent leur temps à se contredire. Diamond est obsédé par une vision universaliste de l'histoire, cherchant les causes de ce qu'il faut appeler la domination des peuples européens sur le monde (jusqu'au début du 20e siècle). Et la critique de Noah Harari tourne court quand il se félicite de l'invention de la monnaie ! Tous deux concluent que toute société humaine est amenée à se "complexifier", c’est-à-dire quitter le mode de vie libre des chasseurs-cueilleurs pour développer un entrelacs de domination, corollaire de l’abondance matérielle. L'honneur de la société de consommation est sauf et c'est sans doute cette pirouette qui permet le succès de leurs ouvrages.
C’est à ce mythe défendu par Diamond et Harari (de la recherche universelle d'un accroissement de la productivité) que s'attaque Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, l’ouvrage de l’anthropologue David Graeber et de l’archéologue David Wengrow (Graeber et Wengrow, 2021).
Pour les auteurs, les opinions populaires actuelles sur les progrès de la civilisation occidentale, telles que présentées par Francis Fukuyama, Jared Diamond, Steven Pinker et Yuval Noah Harari, ne sont pas étayées par des preuves anthropologiques ou archéologiques, mais doivent davantage à des dogmes philosophiques hérités sans réfléchir du siècle des Lumières.
Les auteurs réfutent les visions hobbesienne et rousseauienne sur l'origine du contrat social, affirmant qu'il n'existe pas de forme originale unique de société humaine. De plus, ils soutiennent que la transition de la cueillette à l'agriculture n'était pas un piège de la civilisation qui a jeté les bases de l'inégalité sociale, et qu'au cours de l'histoire, les sociétés à grande échelle se sont souvent développées en l'absence d'élites dirigeantes et systèmes de gestion descendants.
Au commencement étaient... Rousseau et Hobbes.
Pour Hobbes, "l'état de nature" est celui de «la guerre de tous contre tous» (Hobbes, 1651, Le Léviatan) et l'Homme s'en élève en faisant société. Il ne faut cependant pas caricaturer sa pensée: pour lui l'état de nature est une commodité pour la réflexion théorique et n'a jamais existé en tant que tel; c'est la peur de la mort qui pousse à la socialisation.Pour le second courant, Rousseauiste, l’état de nature n’est pas mauvais, mais bon. Mais l'œuvre la plus ancienne, n'est pas de Jean-Jacques Rousseau, c'est le Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie, publié à titre posthume en 1574 qui en donne la formulation la plus radicale: le tyran n’est qu’un parasite et un manipulateur, dont le pouvoir repose sur l’aveuglement et la docilité des dominés «soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres». En 1672, Samuel von Pufendorf publie Du droit de la nature et des gens qui va inspirer Rousseau et la constitution américaine. Jean-Jacques Rousseau va développer la thèse dans le Discours sur l’origine de l’inégalité (1755) puis dans Du contrat social (1762). Le livre est interdit en France et brûlé à Genève.
Rousseau va à son tour inspirer les acteurs de la Révolution française, puis les grands romans évolutionnistes des origines que sont Ancient Society (1877) de Lewis Morgan et L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’état (1884) de Friedrich Engels. Ces deux derniers ouvrages, qui décrivent l’apparition et le développement historique des inégalités sociales, intègrent déjà les données anthropologiques de l’époque, à défaut des connaissances archéologiques, encore sommaires et peu diffusées. Plus moderne que Marx, Engels aborde aussi la question de la domination des hommes sur les femmes: le mariage monogamique, association économique, n’a rien à voir avec l’amour. Allant de pair avec l’institution de la propriété privée masculine, il représente une «défaite historique du sexe féminin», apparaissant comme »l'assujettissement d’un sexe par l’autre». Seule la sexualité féminine, réduite à un symptomatique abandon, date un peu cette analyse. (Demoule, 2010, pp. 411-426).
↑ Marshall Sahlins. 1972. Stone Age Economics (1976. Age de pierre, âge d'abondance: l’économie des sociétés primitives. Gallimard).
↑ Jared Diamond. 1987. The Worst Mistake in the History of the Human Race. Discover Magazine, May 1, 1987: 64-66.
↑ Jared Diamond. 1997. Guns, Germs, and Steel - The Fates of Human Societies. Norton, New York. (2000. De l'Inégalité parmi les sociétés. Gallimard, Paris) .
A travers une multitude d'observations et d'exemples, Diamond essaie de défini pourquoi une espèce végétale ou animale est domestiquée, pourquoi si peu d'espèces ont été domestiquées et pourquoi les espèces ont été domestiquées là où elles l'ont été. La grande critique qu'on peut faire à Diamond est de rechercher à tout prix une loi d'évolution universelle et de refuser la possibilité d'évolutions multiples et divergentes; une critique que l'on retrouvera dans le livre David Graeber (Graeber, 2021).
↑ Yuval Noah Harari. 2015. Sapiens, Une brève histoire de l'humanité.
↑ David Graeber, David Wengrow. 2021. Au commencement était... Une nouvelle histoire de l'humanité. Les Liens qui libèrent, Paris.
↑ Jared Diamond. 1987. The Worst Mistake in the History of the Human Race. Discover Magazine, May 1, 1987: 64-66.
↑ Jared Diamond. 1997. Guns, Germs, and Steel - The Fates of Human Societies. Norton, New York. (2000. De l'Inégalité parmi les sociétés. Gallimard, Paris) .
A travers une multitude d'observations et d'exemples, Diamond essaie de défini pourquoi une espèce végétale ou animale est domestiquée, pourquoi si peu d'espèces ont été domestiquées et pourquoi les espèces ont été domestiquées là où elles l'ont été. La grande critique qu'on peut faire à Diamond est de rechercher à tout prix une loi d'évolution universelle et de refuser la possibilité d'évolutions multiples et divergentes; une critique que l'on retrouvera dans le livre David Graeber (Graeber, 2021).
↑ Yuval Noah Harari. 2015. Sapiens, Une brève histoire de l'humanité.
↑ David Graeber, David Wengrow. 2021. Au commencement était... Une nouvelle histoire de l'humanité. Les Liens qui libèrent, Paris.
Le succès des chasseurs-cueilleurs
La plupart des ethnologues ont observé que la recherche d'une maximisation des avantages économiques n'était absolument pas généralisée chez les "peuples autochtones". Philippe Descola souligne le fait que les Achuar (jivaros) ne consacrent que 3 à 4 heures par jour pour satisfaire leurs besoins tout en vivant dans une certaine abondance (Descola et Pignocchi, 2022). Les jardins (cultures vivrières des Achuar), établis entre les habitations et la forêt, sont petits mais, compte tenu de leur productivité, surdimensionnés par rapport aux besoins; et ce surdimensionnement ne résulte pas d'un effet de précaution, ni de la recherche d'une commercialisation hypothétique mais uniquement du prestige apporté par la taille des possessions.Dans son ouvrage majeur, Par delà nature et culture (Descola, 2005) explique que tout un pan de l’humanité vit en interaction avec la nature, sans jamais la dissocier d’une supposée "culture" (une notion occidentale). En combinant intériorité (morale) et physicalité (matière) pour distinguer humains et non humains, Descola définit quatre grands types d’ontologies (pp. 416-417) qu'il nomme, avec des significations redéfinies, totémisme (continuité des intériorités et des physicalités: tous les existants possèdent une âme ou un esprit et une intention, relativisme des identités: hybridation), animisme (continuité des intériorités et différence des physicalités: métamorphose), analogisme (les différences sont structurées par des relations de correspondance, chaine des êtres, universalisme) et naturalisme (continuité des physicalités et différence des intériorités permise par la culture).
Ressemblance des physicalités | Différences des physicalités | |
Ressemblance des intériorités | totémisme | animisme |
Différence des intériorités | naturalisme | analogisme |
Le naturalisme représente le mythe dominant dans notre monde judéo-chrétien sans pouvoir cependant représenter une pensée unique: il n'est pas étonnant que la lecture de Spinoza, pour qui l'âme et le corps ne sont qu'une seule et même chose vue sous deux angles différents et qui définit la Nature comme la cause et l'essence de tout ce qui existe (elle se confond avec Dieu) ait été interdite jusqu'au 19e siècle.
Pour Descola, le dualisme entre nature et culture est un masque pour une pratique qui le contredit; il n'élimine pas pour autant sa fonction directrice dans l’organisation des sciences ni n'efface le fait que l’ethnologue tire une inspiration constante d’une opposition dont la plupart des peuples qu'il décrit et interprète ont fait l’économie.
Pour Michel Foucault, le naturalisme équivaut à un double dualisme: entre les choses et les mots, mais aussi entre la nature (le réel) et la culture (la capacité à catégoriser).
↑ Philippe Descola. 1993 (2014). Les Lances du crépuscule. Relations jivaros Haute Amazonie. Collection Terre humaine, Plon, Paris.
Sous forme de récit, l'étude monographique des jivaros Achuar.
↑ Philippe Descola. 2005 (2015). Par-delà nature et culture. Gallimard, Paris.
↑ Philippe Descola, Alessandro Pignocchi. 2022. Ethnographie des mondes à venir. Seuil, Paris.
Au cours d'un dialogue à deux, les auteurs essaient de reconstruire le monde.
Sophie Blanchy. Nature et culture en anthropologie in Hervé Inglebert et Yan Brailowsky. 2013. 1970-2010: les sciences de l'Homme en débat. Presses universitaires de Paris Nanterre: pp 317-329.
Lynn White. 1967. The Historical Roots of Our Ecologic Crisis. Science, New Series, Vol. 155, #3767: pp. 1203-1207.
Alain Testart. 1986. Essais sur les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs. Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, coll. Cahiers de l'homme #25. Source: recension par Chantal Collard 1987. Anthropologie et Sociétés vol.11, #1.
Randall Haas. Female hunters of the early Americas. Science. DOI: 10.1126/sciadv.abd0310
Sous forme de récit, l'étude monographique des jivaros Achuar.
↑ Philippe Descola. 2005 (2015). Par-delà nature et culture. Gallimard, Paris.
↑ Philippe Descola, Alessandro Pignocchi. 2022. Ethnographie des mondes à venir. Seuil, Paris.
Au cours d'un dialogue à deux, les auteurs essaient de reconstruire le monde.
Sophie Blanchy. Nature et culture en anthropologie in Hervé Inglebert et Yan Brailowsky. 2013. 1970-2010: les sciences de l'Homme en débat. Presses universitaires de Paris Nanterre: pp 317-329.
Lynn White. 1967. The Historical Roots of Our Ecologic Crisis. Science, New Series, Vol. 155, #3767: pp. 1203-1207.
Alain Testart. 1986. Essais sur les fondements de la division sexuelle du travail chez les chasseurs-cueilleurs. Paris, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, coll. Cahiers de l'homme #25. Source: recension par Chantal Collard 1987. Anthropologie et Sociétés vol.11, #1.
Randall Haas. Female hunters of the early Americas. Science. DOI: 10.1126/sciadv.abd0310
La transition démographique agricole
La domestication n'est pas un objectif délibéré.
L'élevage peut être pratiqué par des populations nomades, notamment lorsque les troupeaux sont itinérants – ce qui est le cas des anciens Mongols. Ces derniers élevaient vaches, moutons, chevaux sans construire de villes, ni de villages permanents. En revanche, des chasseurs-cueilleurs pouvaient s’installer dans des lieux pour de longues périodes, sans pour autant pratiquer l’élevage ou l’agriculture. Il y a des dizaines de milliers d'années, bien avant l’émergence de l’agriculture, des chasseurs-cueilleurs archaïques ont pu s’établir dans des villages, en particulier sur les rivages des fleuves et des océans, riches en poissons et coquillages.La combinaison de la vie sédentaire et de l’agriculture est apparue pour la première fois au Moyen-Orient, il y a environ douze mille ans.
Modèle de la transition démographique agricole: la transition de la fécondité (en noir) est suivie par une transition de la mortalité (en gris) (Bocquet- Appel, 2003).
Abandonner l'agriculture suppose de réduire drastiquement la population; un sujet qui reste tabou, même dans nos cultures actuelles qui disposent de moyens "non-violents" de contrôle des naissances. Il ne faut pas négliger non plus les changements induits dans la structure sociale par la sédentarité: dans quasiment tous les cas (Testard, 1982), la culture des céréales induit la sédentarité qui induit une hiérarchisation sociale. Il est facile de prévoir que ceux parvenus au sommet de cette hiérarchie accepteront difficilement l'abandon de leur privilèges nécessité par le retour au nomadisme.
Toutefois la question de l'inégalité reste très discutée. Les études de maisons néolithiques en Europe de -600 à -500, démontrent le contraire: ces sociétés sont plutôt égalitaires (Anick Coudart, 2010). On repère les inénagités à l'existence de quelques tombes très riches. En Europe l'urbanisation ne s'implante qu'au premier millénaire BC et même au Moyen-âge pour le nord; elle est généralement associée à l'impossibilité d'une migration: côte atlantique, steppe ukrainienne faisant blockage (Demoule, 2010).
Toutes les espèces ne sont pas domesticables; jusqu'à une époque récente le nombre des espèces domestiquées reste stable et relativement faible. Mais l'absence de domestication n'est pas seulement le fait de difficultés techniques, elle s'explique le plus souvent par un obstacle spirituel.
La sélection par l'Homme est une découverte empirique.
Pour les plantes, le critère de domestication est une modification des caractéristiques des espèces cultivées par rapport aux plantes sauvages; mais la domestication est progressive et ne pouvait au départ être intentionnelle. En cueillant des graines ou des fruits "sauvages" pour se nourrir on est logiquement conduit à choisir les plus gros et, si on les sème, à accroitre la taille moyenne des graines ou des fruits recherchés. L'idée de sélection est une découverte empirique, sans doute tout aussi fondamentale que sa conceptualisation par Charles Darwin.Pendant longtemps, les cueilleurs on sans doute cherché à favoriser le développement des plantes cueillies par rapport à d'autres sans vraiment les "cultiver". Nos forêts européennes ne ressemblent en rien à une forêt primaire (sauf rares exceptions) et pourtant, nous ne considérons pas que le Chêne soit une espèce domestiquée...
Dans une deuxième étape de la domestication, qui suppose la découverte du principe de sélection, au moins à un niveau élémentaire, il devient favorable d'isoler au moment de la reproduction les plantes cultivées de leurs parents sauvages. Mais la perte de l'efficacité reproductive des plantes cultivées peut tout aussi bien être un "dommage collatéral" des pratiques sélectives. Lorsque la partie consommée de la plante est le fruit ou la graine il est bien préférable pour le paysan que ses parties restent fixées sur la plante plutôt que de ses disperser... et dans ce cas la plante devient dépendante de l'Homme pour se reproduire.
Malgré les échanges pratiqués bien avant la transition agricole, les domestications apparaissent en de multiples endroits, concernent des espèces identiques ou différentes et se diffusent lentement, ce qui témoigne de la progressivité du phénomène. Blé, Orge, Lentilles sont domestiqués vers 11 000 BP au Proche-Orient, le Riz vers 8 000 BP en Chine et en Inde, le Maïs vers 9 000 BP en Amérique centrale, la Pomme de terre (vers 8 000 BP) le Manioc et le Poivre en Amérique du sud, le Mil, le Sorgho et l'Igname en Afrique subsaharienne, etc..
La domestication animale n'est pas évidente à définir.
La domestication animale (ses premiers effets sont ceux d'un changement du comportement de la population animale domestiquée) est moins évidente que celle des plantes (repérable par des changements morphologiques), sans compter le fait que les individus (sauvages) peuvent être apprivoisés, ce qui est parfois plus simple que de domestiquer une population ou une espèce: exemple de l'Eléphant (Chansigaud, 2020). Les espèces de taille réduites peuvent être élevées en cage sans la moindre transformation.Le Mouton, la Chèvre et le Sanglier sont domestiqués dans le croissant fertile vers 10 000 BP (mais aussi en Chine). Le Buffle, le Poulet, l'Oie, le Zébu, le Banteng, le Gaur sont domestiqués en Asie; le Lama, le Cochon d'Inde, le Canard sont domestiqués en Amérique du sud (Chansigaud, 2020). On considère donc que cette domestication accompagne la transition agricole.
La domestication du Poulet tient autant de l'usage alimentaire que des usages culturels (sacrifices, combats de Coqs).
Enfin Valérie Chansigaud se demande si on peut qualifier de domestication l'interaction avec certaines espèces comme les Abeilles.
Dans les Lances du crépuscule, Philippe Descola (Descola, 1993, pp. 150-152) montre que de nombreuses sociétés (en particulier les Achuar) n’ont jamais domestiqué les animaux qui vivaient autour d’elles. Les Achuar recueillent les petits des animaux qu'il ont chassé au point que certaines maisons ressemblent à une arche de Noé. Mais cet apprivoisement ne conduit pas à une véritable domestication. L'obstacle n'est pas le savoir-fair, mais la conception du monde. Pécari, Tapir ou Agouti se prêtaient pourtant à un élevage en semi-captivité fournissant l'équivalent tropical d'un Cochon, d'une Vache ou d'un Lapin, mais l'élevage implique un rapport de sujétion réciproque, une convivialité bien fade par rapport à la chasse. Surtout, les animaux de la forêt sont déjà assujetties à des esprits qui les protègent (d'où des rituels savants accompagnent la chasse obtenir l'aval de ces esprits). Domestiquer les animaux les animaux de la forêt serait enter en conflit avec ces esprits qui ne pourraient supporter leur dépossession totale. C'est aussi pourquoi les Achuar entretiennent des meutes de chiens pour la chasse sans que cela pose le même problème.
Dans les communautés de chasseurs-cueilleurs animistes, plantes et les animaux vivent en tant qu’égaux spirituels des humains, si bien qu’il est tout simplement inconcevable de se mettre à exercer une domination sur eux. Si les sociétés qui se sont mises à pratiquer l’élevage il y a plusieurs milliers d’années étaient auparavant animistes, il a donc fallu qu’un changement profond de leur spiritualité s’opère.
La domestication peut conduire à la disparition des populations sauvages d'origine, par concurrence pour l'espace, souvent aggravée par la chasse (Aurochs), mais certaines espèces espèces résistent mieux que d'autres (Sanglier); et plus encore si elles ne sont pas chassées (Le Loup réinvestit les espaces dont il avait disparu lorsque des mesures de protection sont prises).
Domestication du Loup (Canis lupus).
De tous les animaux, le Loup est l'espèce dont l'histoire est la plus liée à celle de l'Homme. La domestication du Loup, intervenue à plusieurs reprises depuis au moins 30 000 ans (cette estimation temporelle semble probable même si elle est encore controversée) est un cas à part dans la mesure ou elle ne change pas la place des êtres humains dans la nature; Ils restent des chasseurs cueilleurs; ceci peut expliquer la précocité et la fréquence de sa domestication, mais le comportement du Loup a pu aussi jouer un rôle. Certains pensent que le Loup s'est domestiqué lui-même et on trouve des squelettes de Loup associés aux squelettes humains vers 125 000 BP dans la grotte du Lazaret donc avant l'arrivée d'Homo sapiens en Europe. Le Loup est un outil supplémentaire pour l'Homme, sans doute d'une autre nature que le propulseur ou l'arc, mais c'est d'abord une aide à la chasse (plus tard le Chien a aussi été utilisé comme animal de trait).Il existe encore plusieurs sous espèces sauvages de Loup mais les populations ont été drastiquement réduites par l'Homme et ne pèsent pas lourd par rapport à la sous espèce domestique (Canis lupus familiaris, le Chien) 300 fois plus nombreuse que toutes les sous espèces sauvages confondues. Toutes sont interfertiles ce qui ne simplifie pas les recherches génétiques sur l'origine du Chien dans la mesure ou l'Homme a entrainé le Chien dans ses migrations et où des hybridations multiples ont pu se produire entre Loup et Chien. Pourtant la fascination de l'Homme pour le Loup n'a pas éludé le domaine scientifique et de multiples études ont été et sont toujours menées sur cet animal et sur ses relations avec l'Homme.
La domestication du Sanglier.
Le Sanglier est aussi un cas particulier, souvent présent comme cohabitant avec l'Homme parce que se nourrissant des déchets ou des cultures) sans domestication qui interviendra après un long processus (Chansigaud, 2020, p.125).Domestication de l'Aurochs (Bos primigenius).
Les bovins domestiques (Bœuf, Zébu) ont été nommés Bos taurus au 18e siècle, une nomenclature qu'on tendrait à réviser sous la forme Bos primigenius taurus. En effet toutes les variétés ou races sont fertiles entre elles. La génétique indique plusieurs sources de domestication à partir de sous-espèces de Bos primigenius déjà différenciées notamment en Anatolie et dans la vallée de l'Indus de 10 000 à 8 000 BP à (Loftus, 1994). En Europe, l’Aurochs chassé comme gibier par Homo sapiens depuis son arrivée sur place persiste dans l'est où il ne disparait qu'au Moyen Age (les derniers en Pologne vers 1620).L'élevage des bovins n'est pas forcément initié par des agriculteurs, mais pouvait être pratiqué par des éleveurs nomades. Il semble que les bovins domestiqués parviennent en Europe avec les migrations de peuples ayant adopté l'agriculture sans négliger les hybridations de ces bovins avec les Aurochs présents sur place. Les animaux sont utilisés comme source de nourriture et pour la traction. La taille des bovins domestiques est inférieure de 25% à celle de l’Aurochs et les cornes sont plus petites.
Aurochs, hall des Taureaux, Lascaux 2 (première reproduction de la grotte); à noter que la superposition de peintures indique une séquence toujours identique en plusieurs endroits de la grotte: les Chevaux sont tracés les premiers, puis les Aurochs, puis les cervidés.
Blonde d'Aquitaine à l'estive dans les Pyrénées; crédit Wikimedia.
Une sélection inversée a été menée en Allemagne à partir des années 1920 par les frères Heck et est poursuivie aujourd'hui. La variété obtenue possède une plus grand taille (sans toutefois retrouver la taille de l’Aurochs), est très résistante et peut vivre en quasi autonomie dans le milieu naturel où elle participe au maintien du paysage ouvert (avec d'autres herbivores comme les Cerfs). Comme les Aurochs, les mâles de cette variété vivent en groupes séparés du troupeaux de femelles et de veaux qu'ils ne rejoignent qu'à la saison de reproduction et s’affrontent en eux pour se reproduire.
La fabrication de poteries se développe parallèlement à la sédentarisation mais à commencé avant (l'idée que des nomades ne peuvent s'encombrer de poteries est en partie fausse). La technique de la terre cuite au four est-elle bien plus ancienne dans son utilisation pour la fabrication de statuettes: 20 000 BP ).
Plus tardives qu'en Europe, les évolutions qui ont transformé les modes de vie des populations humaines de ce continent sont plus qu'instructives parce que mieux documentées; il nous est malheureusement difficile de reconnaitre ce qui s'apparente à l'organisation d'un chaos dissimulé derrière l'idée du progrès technologique. L'attitude des européens (puis des colons états-uniens) envers les amérindiens a toutes les apparences d'un génocide, même s'il n'était pas prémédité; et c'est à coup sûr un ethnocide, sans évoquer l'esclavage et la traite des noirs africains. Les Etats-Unis ont, dans l'histoire récente, représenté un modèle mythique d'Etat alors qu'ils nous déroulent une liste d'atrocités et d'erreurs.
La date du peuplement initial des Amériques reste discutée. Des découvertes récentes (Ardelan, 2020) suggèrent la présence d'outils de pierre datant de 30 000 ans. Mais l'idée la plus répandue est l'arrivée de populations venues d'Asie par un "pont terrestre", émergé au niveau du détroit de Béring lors de la dernière glaciation, il y a 26 000 à 19 000 ans. Cette migration est documentée génétiquement et aurait effacé les traces de tout peuplement antérieur s'il a existé.
Les milieux présents sur le continent sont extrêmement divers. Vers 12 000 ans le réchauffement climatique entraine un assèchement de l'ouest du continent et la disparition du Mammouth, du Lama (au nord), du Cheval. Le Bison reste le grand herbivore des plaines, mais sa taille se réduit.
Le Chien reste longtemps le seul animal domestiqué, accompagnant les premiers arrivants; il est utilisé comme animal de trait et accessoirement consommé.
La domestication du Maïs est une affaire complexe; il y a 8 000 à 9 000 ans la Téosinte (Zea mays ssp parviglumis) a probablement été d'abord utilisée pour produire une boisson fermentée (chicha). Transformer la petite inflorescence en épis à gros grains plus ou moins tendres et sucrés a pris du temps. De plus deux acides aminés essentiels sont absents des protéines du Maïs, il ne peut servir de source exclusive d'alimentation à l'Homme. Les premiers agriculteurs ont du découvrir empiriquement qu'ils devaient se nourrir simultanément de Courge (domestiquée en même temps que le Maïs) ou de Haricot domestiqué plus tard il y a 4 500 ans (Sallmann, 2022 p.35). Le Haricot est alors cultivé entre les lignes de Maïs (qui servent de tuteur), enrichissant le sol en azote. La milpa ou technique des trois soeurs associe les cultures du Maïs, du Haricot et de la Courge. Culture simultanée et consommation simultanée des trois plantes sont toutes les deux bénéfiques !
Le Maïs est une plante toujours exigeante en eau, mais présente une photosynthèse particulière (dite en C4), plus efficiente que la photosynthèse classique; il en résulte un développement très rapide; les épis sont faciles à stocker et le Maïs devient la nourriture principale de toutes les grandes civilisations amérindiennes (Mayas, Aztèques, Incas, etc.).
Dans Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, déjà cité (Graeber et Wengrow, 2021) les auteurs trouvent les réponses dans une série de rencontres entre les colons européens et les populations autochtones d'Amérique du Nord. Ces rencontres fournissent un contre-modèle puissant à la civilisation européenne et une critique soutenue de sa hiérarchie, de son patriarcat, de sa loi punitive et de son comportement motivé par le profit, entré dans la pensée européenne au 18e siècle à travers les récits de voyageurs et les relations missionnaires.
La fabrication de poteries se développe parallèlement à la sédentarisation mais à commencé avant (l'idée que des nomades ne peuvent s'encombrer de poteries est en partie fausse). La technique de la terre cuite au four est-elle bien plus ancienne dans son utilisation pour la fabrication de statuettes: 20 000 BP ).
↑ Jean-Pierre Bocquet-Appel. 2003. La transition démographique agricole au Néolithique. www.researchgate.net/publication/281882640. Le Monde diplomatique, novembre: 301-315.
Autre source: in Jean-Paul Demoule (dir.). 2010. La révolution néolithique dans le monde. Open Editions: 301-317.
↑ Anick Coudart. La maison néolithique: métaphore matérielle, sociale et mentale des petites sociétés sédentaires in Jean-Paul Demoule (dir.). 2010. La révolution néolithique dans le monde. Open Editions: 215-235.
Jean-Denis Vigne. 2015. Aux racines de la domestication. Pour la Science #548: 58-63.
↑ Valérie Chansigaud. 2020. Histoire de la domestication animale. Delachaux et Niestlé.
Un étude très fouillée, avec une liste de références très conséquente (une bibliographie plus sélective aurait un intérêt), mais malgré un chapitre sur la domestication de l'Homme (bien trop superficiel), Chansignaud semble refuser de se poser la question du progrès (ou du régrès): les auteurs critiques de la transition agricole comme Sahlin ou Graeber sont écartés et la domestication est implicitement présentée comme une marche triomphante et inévitable vers le futur.
Autre source: in Jean-Paul Demoule (dir.). 2010. La révolution néolithique dans le monde. Open Editions: 301-317.
↑ Anick Coudart. La maison néolithique: métaphore matérielle, sociale et mentale des petites sociétés sédentaires in Jean-Paul Demoule (dir.). 2010. La révolution néolithique dans le monde. Open Editions: 215-235.
Jean-Denis Vigne. 2015. Aux racines de la domestication. Pour la Science #548: 58-63.
↑ Valérie Chansigaud. 2020. Histoire de la domestication animale. Delachaux et Niestlé.
Un étude très fouillée, avec une liste de références très conséquente (une bibliographie plus sélective aurait un intérêt), mais malgré un chapitre sur la domestication de l'Homme (bien trop superficiel), Chansignaud semble refuser de se poser la question du progrès (ou du régrès): les auteurs critiques de la transition agricole comme Sahlin ou Graeber sont écartés et la domestication est implicitement présentée comme une marche triomphante et inévitable vers le futur.
La colonisation de l'Amérique
(en cours d'écriture)Plus tardives qu'en Europe, les évolutions qui ont transformé les modes de vie des populations humaines de ce continent sont plus qu'instructives parce que mieux documentées; il nous est malheureusement difficile de reconnaitre ce qui s'apparente à l'organisation d'un chaos dissimulé derrière l'idée du progrès technologique. L'attitude des européens (puis des colons états-uniens) envers les amérindiens a toutes les apparences d'un génocide, même s'il n'était pas prémédité; et c'est à coup sûr un ethnocide, sans évoquer l'esclavage et la traite des noirs africains. Les Etats-Unis ont, dans l'histoire récente, représenté un modèle mythique d'Etat alors qu'ils nous déroulent une liste d'atrocités et d'erreurs.
La date du peuplement initial des Amériques reste discutée. Des découvertes récentes (Ardelan, 2020) suggèrent la présence d'outils de pierre datant de 30 000 ans. Mais l'idée la plus répandue est l'arrivée de populations venues d'Asie par un "pont terrestre", émergé au niveau du détroit de Béring lors de la dernière glaciation, il y a 26 000 à 19 000 ans. Cette migration est documentée génétiquement et aurait effacé les traces de tout peuplement antérieur s'il a existé.
Les milieux présents sur le continent sont extrêmement divers. Vers 12 000 ans le réchauffement climatique entraine un assèchement de l'ouest du continent et la disparition du Mammouth, du Lama (au nord), du Cheval. Le Bison reste le grand herbivore des plaines, mais sa taille se réduit.
Le Chien reste longtemps le seul animal domestiqué, accompagnant les premiers arrivants; il est utilisé comme animal de trait et accessoirement consommé.
La domestication du Maïs est une affaire complexe; il y a 8 000 à 9 000 ans la Téosinte (Zea mays ssp parviglumis) a probablement été d'abord utilisée pour produire une boisson fermentée (chicha). Transformer la petite inflorescence en épis à gros grains plus ou moins tendres et sucrés a pris du temps. De plus deux acides aminés essentiels sont absents des protéines du Maïs, il ne peut servir de source exclusive d'alimentation à l'Homme. Les premiers agriculteurs ont du découvrir empiriquement qu'ils devaient se nourrir simultanément de Courge (domestiquée en même temps que le Maïs) ou de Haricot domestiqué plus tard il y a 4 500 ans (Sallmann, 2022 p.35). Le Haricot est alors cultivé entre les lignes de Maïs (qui servent de tuteur), enrichissant le sol en azote. La milpa ou technique des trois soeurs associe les cultures du Maïs, du Haricot et de la Courge. Culture simultanée et consommation simultanée des trois plantes sont toutes les deux bénéfiques !
Le Maïs est une plante toujours exigeante en eau, mais présente une photosynthèse particulière (dite en C4), plus efficiente que la photosynthèse classique; il en résulte un développement très rapide; les épis sont faciles à stocker et le Maïs devient la nourriture principale de toutes les grandes civilisations amérindiennes (Mayas, Aztèques, Incas, etc.).
Dans Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, déjà cité (Graeber et Wengrow, 2021) les auteurs trouvent les réponses dans une série de rencontres entre les colons européens et les populations autochtones d'Amérique du Nord. Ces rencontres fournissent un contre-modèle puissant à la civilisation européenne et une critique soutenue de sa hiérarchie, de son patriarcat, de sa loi punitive et de son comportement motivé par le profit, entré dans la pensée européenne au 18e siècle à travers les récits de voyageurs et les relations missionnaires.
«Nous ne considérions pas que les grandes plaines ouvertes, les belles collines ondoyantes et les sinueux ruisseaux recouverts de leur végétation enchevêtrée étaient "sauvages". Seul l’homme blanc pensait que la nature était une nature "sauvage" et que la terre était infestée de personnes "barbares". Pour nous, la nature était apprivoisée. La Terre était généreuse et nous vivions entourés des bénédictions du grand mystère.»
chef Siou oglala lakota (Standing Bear), source: Wikipedia
↑ Ardelean, C.F., Becerra-Valdivia, L., Pedersen, M.W. et al. Evidence of human occupation in Mexico around the Last Glacial Maximum. Nature 584, 87–92 (2020). DOI: 10.1038/s41586-020-2509-0
↑ Jean-Michel Sallmann. 2022. L'Amérique du nord - 25 000 ans av. notre ère - 19e siècle. Belin.
↑ Jean-Michel Sallmann. 2022. L'Amérique du nord - 25 000 ans av. notre ère - 19e siècle. Belin.
Bibliographie
↑ Jean-Paul Demoule. Naissance des inégalités et prémisses de l'Etat in Jean-Paul Demoule (dir.). 2010. La révolution néolithique dans le monde. Open Editions: 411-426.↑ Jean-Paul Demoule (dir.). La révolution néolithique dans le monde. Open Editions CNRS Alpha.
Lôwy Michael. 2020. 13e Thèses sur la catastrophe (écologique) imminente et les moyens (révolutionnaires) de l'éviter. Europe Solidaire sans frontières.
Filmographie
↑ Four Souls of Coyote (Les 4 âmes du Coyote). Site officiel.
Le film illustre assez bien le thème central du livre de David Graeber. Prix du Jury du festival du film d'animation d'Annecy, 2023.
↑ L’Usage du Monde, Voyage entre Nature et Culture. septembre 2024. Site officiel.
Pour sa réalisatrice, le mythe de la domination lie toutes nos erreurs: l'Homme doit dominer le monde comme il domine l'animal, comme le masculin domine le féminin, comme
Le film illustre assez bien le thème central du livre de David Graeber. Prix du Jury du festival du film d'animation d'Annecy, 2023.
↑ L’Usage du Monde, Voyage entre Nature et Culture. septembre 2024. Site officiel.
Pour sa réalisatrice, le mythe de la domination lie toutes nos erreurs: l'Homme doit dominer le monde comme il domine l'animal, comme le masculin domine le féminin, comme
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